Comme la plupart des Français, depuis le 16 mars dernier, les chercheurs n'échappent pas au télétravail. Jonglant entre famille et poursuite de leurs travaux, ils s'organisent tant bien que mal, prenant le confinement avec philosophie. Témoignages depuis leurs bureaux de « campagne ».
Confinement : la recherche se joue à domicile
Benoit Louis : un retour aux fondamentaux
Dans le bureau de sa maison où il avait déjà l’habitude de télétravailler occasionnellement, Benoit Louis, chercheur à l’Institut de chimie et procédés pour l’énergie, l’environnement et la santé (Icpees), n’est plus interrompu par les étudiants mais par son petit garçon de 5 ans. « C’est difficile de trouver un nouveau rythme, il faut se forcer à une certaine discipline et jongler avec l’école du petit. »
Lecture et rédaction d’articles, mise à jour de ses enseignements… Son laboratoire étant fermé, le chercheur ne produit plus de résultats mais « prend le temps de revenir aux fondamentaux » en se consacrant à des activités mises entre parenthèse. « Les journées sont moins chargées, enfin, ça dépend si le petit fait la sieste… (rires) mais les heures sont efficaces et je suis plus détendu, le volet administratif étant suspendu. »
Pour lui, l’impact se ressent surtout au niveau des jeunes chercheurs et notamment des doctorants, privés de leurs expériences. « On organise leur travail autrement en les poussant à se concentrer sur la rédaction. Ils sont moins habitués à faire du télétravail mais ça les forme pour le métier de chercheur, lorsqu’on s’éloigne de la paillasse… »
Enrica Zanin : la chasse aux ressources en ligne
« Je n’ai pas de laboratoire, à proprement parler, pas de souris ou d’expériences à assurer sur place. Ma contrainte principale, ce sont les livres. » Pour Enrica Zanin, chercheuse du laboratoire Configurations littéraires, le défi a d’abord été d’anticiper ses besoins en ouvrages nécessaires à la poursuite du travail. À l’approche du confinement général, cette mère de deux enfants emprunte la carriole qui leur est normalement destinée et se rend à la Bibliothèque nationale et universitaire. « Le matin, l’ambiance était calme, on sentait l’odeur des solutions hydro-alcooliques. Mais vers la fin d’après-midi, il y avait de longues files d’attente pour emprunter des livres. »
Enrica Zanin travaille sur des livres anciens, dont certains sont accessibles en ligne notamment sur les plateformes des bibliothèques et des universités. Et pour les plus vieux ouvrages, Google books propose aussi une collection intéressante. Les journées de la chercheuse sont morcelées entre le temps de garde des enfants et les moments qu’elle s’accorde pour se tenir au courant de l’actualité. « J’ai la sensation que nous vivons quelque chose d’important, j’ai envie de suivre les évènements, la recherche passe parfois un peu après. » Honnête, elle avoue se questionner sur la pertinence du travail de chercheur en littérature au milieu d’une telle crise sanitaire.
Pour autant, elle poursuit son travail en littérature, qui fait parfois écho avec l’actualité. Le Décaméron de Boccace, un recueil de nouvelles du 14e siècle, raconte l’histoire d’un groupe de jeunes qui se retire de la société pour échapper à une épidémie de peste. Enrica Zanin conclut : « Il viendra un temps de recul et de réflexion après le temps chaud de la crise, où les arts n’en seront que plus importants. »
Pierre-Alain Duc : pause-café virtuelle et serveurs informatiques
Côté Observatoire astronomique, Pierre-Alain Duc est parvenu à outiller ses équipes juste avant le confinement. « Le fait que le télétravail ait été mis en place il y a un an a beaucoup aidé », souligne le directeur de l’observatoire qui a souhaité garder le rythme d’avant-confinement en instaurant des lieux de rencontre virtuels avec maintien des fameuses pauses-café.
Sa problématique principale concerne les serveurs hébergés à l’observatoire. « Un système de monitoring nous envoie des alertes en cas de problème, par exemple si les systèmes de refroidissement ne fonctionnent plus. Ça nous permet de contrôler à distance ce qu’il se passe et de réagir en cas de besoin. En plus de cela, nous avons mis en place un roulement pour aller vérifier tous les deux jours que tout se passe bien. »
Antinéa Babarit : des moustiques en stand by
Travailler avec des espèces vivantes, en temps de confinement, est un des défis auxquels ont dû faire face de nombreux laboratoires de recherche strasbourgeois. Pour l’équipe Réponse antivirale chez les moustiques du genre Aedes à l’Institut de biologie moléculaire et cellulaire (IBMC), il y a heureusement eu une solution pratique : faire sécher les œufs. « Le moustique Aedes, une fois sous forme d’œufs, peut-être stocké pendant trois à quatre mois », explique Antinéa Babarit, une doctorante de l’équipe. Les techniciens et les chercheurs habilités ont donc nourri les femelles fécondées, recueilli les œufs sur papier humide, patienté jusqu’à ce qu’ils soient viables et les ont fait sécher. Une fois la période de confinement terminée, ils seront remis dans l’eau pour que les larves éclosent.
D’autres espèces sont plus exigeantes : certaines larves doivent être nourries deux fois par jour et des moustiques adultes prennent un repas sanguin une fois par semaine. L’équipe s’organise via un groupe Whatsapp pour effectuer une rotation. « On y annonce nos horaires de passage pour éviter de se croiser. Jusqu’à maintenant ce système fonctionne très bien. »
Pour le reste de son emploi du temps, la doctorante ne manque pas d’occupations. Elle a toujours des résultats d’expériences à mettre en forme, des données à analyser et profite du temps de manipulations en moins pour se consacrer à des activités « qui passent un peu trop à la trappe » comme la veille bibliographique.
Laurent Schmitt : trouver des solutions de continuité pour les étudiants
Enseignant-chercheur au sein du groupe Hydrosystèmes du Laboratoire image, ville, environnement (Live), Laurent Schmitt a tout de suite pensé à ses étudiants lorsque le confinement a été mis en place. « Pour nos spécialités, ces mesures ont un impact important : nous avons beaucoup de travail de terrain à effectuer avec les étudiants. »
Les stagiaires, pour lesquels la gestion des plannings est cruciale en raison de la faible durée des stages, sont ceux qui inquiètent le plus le chercheur. Il propose des alternatives comme concentrer leurs travaux sur des états de l’art ou leur fournir des données déjà récoltées, pour leur permettre de travailler.
Confiné à son domicile avec sa famille, Laurent Schmitt constate que son emploi du temps « s’est allégé, surtout en termes de réunions ». En n’accompagnant plus les étudiants sur le terrain et en annulant toutes les réunions impossibles à tenir sous la forme de visioconférences, il a gagné du temps, largement utilisé pour s’adapter aux nouvelles contraintes. Le chercheur met aussi un point d’honneur à rester très présent aux côtés de ses doctorants, avec lesquels il a un suivi vidéo régulier et co-écrit des articles. Déjà, il tourne sa pensée vers le futur en essayant d’anticiper l’après-confinement, qui sera sans doute marqué par une lourde charge de travail liée à la gestion d’une situation inédite.
Propos recueillis par Léa Fizzala et Marion Riegert
Article initialement paru sur recherche.unistra.fr